A 18 ans tu te crois intelligent et fort. Tu crois pouvoir porter le monde sans faire d'effort. La frontière entre la raison et la folie est parfois mince et les causes de désespoir bien réelles dans notre monde
- Soprano -
En cet été 1995, évidemment je suivais avec un vif intérêt la cinquième et dernière victoire consécutive du navarrais Miguel Indurain. Tous les fans espagnols chantaient en coeur "Indurain Indurain Indurain !!! Hoé Hoé Hoé !!!"
Nous avions pris rendez-vous avec une assistante sociale qui m'a orienté vers un centre de rééducation : le Chevalon de Voreppe à 10km de Grenoble, là où je pouvais recommencer ma terminale BEP, passer mon examen et suivre en même temps des séances de rééducation. Le jour de la rentrée je me suis levé à 5h et nous avons pris la route direction Voreppe. On est arrivés dans les temps à 10h au Chevalon.
Pour moi, à vrai dire c'est une nouvelle étape dans ma vie. Là bas j'ai de suite trouvé ma place car il y avait plusieurs handicaps différents, fauteuil, debout, hémiplégique...aucun handicap mental, et pour la première fois de ma vie je me suis senti valorisé, plus de regard moqueur.
Mes parents sont repartis après manger, mon frère était présent aussi, et ma mère se rappelle bien que j'étais très mal quand ils sont partis, je suis resté KO la tête appuyée contre le mur. Enfin c'est ce qu'elle se rappelle, mais moi je n’en ai aucun souvenir. Par contre la chose dont je me souviens, c'est que je devais quitter mes parents et être loin de chez moi.
Je suis remonté dans ma chambre au deuxième étage sous les toits, c'était sympa, un léger coup de blues, mais ça n'a pas duré longtemps. Je suis sorti dans le couloir et j'ai fait connaissance avec Mickael, Guillaume, Alex et tant d'autres, nous étions une cinquantaine de personnes porteur d'un handicap.
Dès que je m'ennuyais un peu je sortais dans le couloir quand il n'y avait pas cours ou rééducation. Je m'aperçois que même avec un handicap on peut faire énormément de choses, moi qui suis passionné de sport je découvre diverses disciplines handis tels que le basket fauteuil, le ski assis, le tennis, la voile, le karting, la natation, le tandem...D’ailleurs mes premiers coups de pédale que j'ai donnés, c’est sur un tandem. C'était celui des grands-parents maternels de mes cousins. Ce ne sont pas mes grands-parents mais j'ai énormément d'affection pour Pierrot et Madeleine.
Je fais aussi la rencontre de Samir, il faisait du basket fauteuil à Meylan. Il jouera quelques années plus tard en équipe de France. Il m'impressionnait beaucoup par sa puissance musculaire. Je lui avais demandé, un jour où il s’était mis debout pour jouer à la table de billard dans le hall, si je pouvais essayer son fauteuil basket avec les roues inclinées. Je n'avais qu'une envie c'était de l’essayer. Mais les sports de balles ne me conviennent pas trop par rapport à mon handicap. Ce qui m'attirait c’était les roues inclinées et le positionnement de l'individu sur son fauteuil.
Côté cours nous étions sept élèves au maximum, dans les autres classes une quinzaine d'élèves pas plus. Nouveauté ! Figure-toi que l'on tutoyait les profs, bien entendu je vouvoyais le directeur et le médecin chef. Quand tu tutoies une personne c'est de suite plus sympa surtout si tu la vois tous les jours. Au moins, les cours étaient plus personnalisés, le prof pouvait prendre plus de temps avec chaque élève...
Arrive l'examen du BEP, également dans la même branche que mon premier échec. Je révise plus et je suis mieux concentré qu'avant. Il y a pas photo j'obtiens 13,5 de moyenne au BEP. Quand je disais que je suis tenace à l’instar d’un pitbull, quelle sacré revanche!
Quelque mois plus tôt j'apprenais enfin le nom de ma maladie : Ataxie de Friedreich. Je l'ai dit au début, c'est une maladie génétique très grave et rare qui s'attaque à mon système nerveux mais tu as du bien voir que mon intelligence n'est pas touchée. Cela ne m'a fait aucun effet de savoir le nom de la maladie puisque je souffrais depuis plus de dix ans.
Lors de ma dernière année au Chevalon, je me suis un peu mis en mode farniente. C'était une classe de formation complémentaire surtout orientée vers des stages en entreprise. Naturellement je choisissais mes entreprises. J'en ai profité pour faire un stage dans les bureaux du collège Canteperdrix de Grasse et aussi dans le comité handisport de l'Isère.
Dorénavant je sais précisément ce que je veux faire dans la vie, c'est à dire me raccrocher au sport et en particulier au cyclisme et à la musculation. On avait participé à une régate en mini Ji sur le lac Paladru à 30 kms de Grenoble et j'avais terminé quatrième avec ma première parution dans le journal du Dauphiné Libéré. Il y en aura bien d'autres.
Les mini Ji, ces bateaux individuels insubmersibles. Un jour il y avait un vent de force 7 et je me suis amusé à la folie, je m'asseyais au bord du bateau pour faire contrepoids. Je prenais tous les risques et j'adorais ça. Je pouvais à tout moment perdre l'équilibre et chavirer dans l'eau. Le pire c'est que je ne savais pas nager, j'avais juste mon gilet de sauvetage mais j'adorais la vitesse et prendre des risques.
J'apprends aussi que ma cousine A. va naître en fin d'année. Spontanément j'ai appelé ma tante pour lui demander si je pourrai être le parrain. Elle a évidemment accepté et ma cousine S. sera la marraine car nous sommes les aînés des cousins. Je suis arrivé à l'hôpital sur les chapeaux de roue. J'ai de suite eu un coup de coeur pour ce minuscule bébé et un sentiment de fierté m’a envahi. Elle n'était pas plus grande que la largeur de mon fauteuil. A l'âge que j'avais j'aurais pu être son papa, on a exactement vingt ans d'écart. Elle est devenue une superbe jeune fille de 18 ans maintenant.
Pendant ma formation complémentaire, j’avais tout le temps, donc j'ai décidé d'aller visiter un appartement de préparation à l'autonomie situé à la Garde près de Toulon. Je vais vivre tout seul dans un appartement près de dix ans avec toutes mes facultés mentales et presque physiques (je me portais beaucoup mieux en ce temps là). J'avais juste besoin d'une assistance pour le ménage et diverses tâches. Je me débrouillais pour m'habiller, me coucher, me lever, me doucher, me faire à manger.
Et les femmes dans tout ça ? Et bien figure toi que mon premier rapport sexuel je ne l'ai eu qu'à 21 ans, c'était avec une superbe jeune femme en fauteuil, une chocolate girl, car j'ai commencé à vraiment prendre confiance en moi depuis que j'ai eu mon premier fauteuil fin 1996. Ben oui, je ne vois pas pourquoi un gars en fauteuil ne pourrait pas parler de sexe sans tabou. Après tout nous sommes tous issus d'un rapport sexuel... Les gens se disent : mais comment ils font ? Ça doit être chaud pour bouger…. Et bien pour ma part je m'allonge sur le dos avec ma tige pointée vers le ciel et ma partenaire s'occupe du reste…. Moi j'ai eu de la chance, la jeune femme en fauteuil n'était pas complètement para, elle est arrivée à bouger.
Je roulais beaucoup en fauteuil et je me rappelle qu'un camarade du Chevalon me disait sans cesse "Ah, tu te la roules avec ta caisse petit frimeur". La célèbre réplique de Tony Montana dans Scarface. C'était un fauteuil super, je m'étais fait monter les flasques qui claquaient (les mêmes flasques que le vice-champion paralympique de tennis de table à Atlanta 1996). En plus, je l'avais choisi de couleur violette, je commençais à être amoureux des fauteuils de compétition.
En poussant mon fauteuil j'ai très vite développé mes bras et mes épaules, ce qui me valorisait encore plus auprès de la gente féminine, en plus d'être un beau gosse et intelligent. J'étais très attiré par S. une ravissante algérienne paraplégique en fauteuil manuel, on avait juste flirté 2-3 fois.
Je sortais souvent avec mon pote Djamel avec qui je m’étais lié d'amitié tout de suite. Il était technicien pour le matériel médical et c'est lui qui a monté mon fauteuil. J'ai perdu sa trace il y a quelques années déjà.
Les soirées en hiver à Grenoble sont très froides pour une personne en fauteuil, tu ne bouges pas fada. Je reviens vivre au Plan de Grasse chez mes parents où je resterai encore presque une année. J'en ai profité pour passer mon code de la route que j'ai obtenu à la deuxième fois.