N'abandonne jamais, mon ami
- Patrick Moyses - Champion du monde handbike 2002 -
J'ai choisi de quitter mes parents dès mes 21 ans pour aller tenter de vivre en autonomie. Je m'étonne encore de ce beau parcours qui a été le mien. Mon père me rappelle souvent :"le passé risque de te faire mal, le mieux c'est de l'oublier". Je ne pourrai pour rien au monde oublier mes 10 années de vie en partielle autonomie. Le passé on ne peut pas s'en passer. Rythmé par diverses sorties, les compétitions handisports, mes entraînements handbike quasiment quotidiens, la musculation, la piscine, la plage... J'avais goût à tout.
J'étais curieux de découvrir mon nouvel environnement. Pour une personne en fauteuil, la vie en appartement reste très facile à condition d'avoir un très bon entourage, famille, amis, personnes aidantes... Avec ce que j'ai vécu, mon moral était blindé, je me sentais, et c'est constamment le cas, invincible. Celui qui essaye de rentrer dans ma tête fada risque de se casser les dents. Une certitude en moi venait de s'installer, mêlée d'une dignité d'espagnol, d'un courage et d'une volonté farouche. Moi je n'ai pas de leçon à prodiguer à quiconque, j'ai juste envie de me livrer un peu et de faire envie à certains.
En cet été 98, l'équipe de France de foot a ravi tout le monde. Je me souviens, c'était l'extase à chaque fois que les bleus gagnaient un match. Jusqu'à ce 12 Juillet 98 où c'était la fête partout en France. Tous les gens se tapaient dans la main ou on se faisait la bise même sans se connaître. Cela dit, ça devrait être pareil tous les jours, mais il y a trop de gens à problèmes pour s'y risquer.
Fin d'année 99, j'aperçois dans une revue spécialisée sur le handicap une petite annonce, un gars paraplégique qui cherche à vendre son fauteuil athlétisme de compétition. Il vit en Alsace, j'ai de suite eu envie de l'appeler. A l'époque je parlais beaucoup mieux. Je commence à lui dire que j'étais cycliste et que j'aime rouler pendant des heures. Il m'oriente alors vers le handbike, une nouvelle discipline qui commence à être connue en France. On a dû parler 10 min mais à partir de ce moment je ne vivais que pour ça.
Mon modèle s'appelle Patrick Moyses. Il est paraplégique suite à un accident et deviendra champion du monde quelques années plus tard. Il a aussi remporté les mondiaux 1986 de Suède en natation. Je n'ai pas souvent eu l'occasion de le voir mais le personnage m'a de suite plu. J'aurai l'occasion de rouler dans sa roue, dans ses roues, quelques années après.
Je commande mon nouveau handbike après en avoir essayé un et je me suis amusé à monter une gentille côte. Il avait 3 plateaux et 8 pignons. Je l’équipe d'un compteur kilométrique et autres autocollants, dont des lettres adhésives noires collées sur ma fourche pour écrire mon nom. Un autre collé sous mon assise juste pour faire un coup de pub au garage Renault J.Gueit juste à côté de chez moi. Ils m'ont souvent aidé pour gonfler les pneus ou mettre du dégrippant sur mon dérailleur. Je me souviens aussi avoir mis la photo d'une belle plante Carmen Electra que l'on voyait dans Alerte à Malibu. J'avais vu faire ça par un coureur italien nommée Mario Cipollini qui disait que ça lui donnait du courage. Et fada, c'est vrai que ça stimule bien !
C'est vraiment ma passion, je me rappelle le premier jour où je l'ai eu il pleuvait et il faisait un froid de gueux vers 16h. Les gens devaient se dire mais qu'est-ce qu’il fout là lui ? A ce moment-là je me suis senti plus fort que le handicap, une sensation que j'ai très rarement connue.
Seulement 2 mois après mes premiers coups de pédales à vélo manuel (on pédale avec les mains d'où le nom handbike) je m'aligne sur le semi-marathon de Cannes. Je me rappelle du stress énorme et de la sacrée montée d’adrénaline que j'ai ressenti au départ, mais justement c'est un stress bénéfique qui s'atténue très vite.
Avant le départ j'étais refermé sur moi-même, le regard fixe, cherchant ma concentration. J'ai quand même terminé mon semi-marathon en 1h20mn. En comparaison, Patrick Moyses effectue les 21 kms en 35 minutes environ, mais il a un autre handicap, il n'est pas touché sur le haut du corps.
Il y aura d'autres semis, des 15 et 10 kms. Je compte bien en reparler plus tard à la fin de mon livre, il y aura un chapitre sur mon sport favori, le cyclisme. Je me suis raccroché si fort à cette passion que j'ai tout le temps besoin d'en parler.
J'ai quand même eu le temps de faire beaucoup de choses en 10 ans. Je sortais souvent avec Fawzy, lui aussi en situation de handicap qui lui touche les bras, mais il marche. Il m'avait fait rigoler le jour où je l'ai vu jouer à ma PlayStation avec les pieds. Il excellait à Need for Speed et à Grand Turismo.
J'ai souvent côtoyé des personnes maghrébines, je pense que c'est normal, je dois avoir du sang marocain car je suis d'origine Espagnole-Andalou. Autrefois les maures ont envahi l'Andalousie et les grandes villes comme Grenade, Séville, Cordoue influençant leur architecture...
Il y aura aussi Nasser, Yahya ...inconsciemment je me sens très proche d'eux. Anecdote anecdotique humoristique, beaucoup de personnes marocaines voyagent par la route jusqu'au Détroit de Gibraltar pour prendre le bateau, mais à ce moment là, ils pourraient prendre un ferry pour Marseille ou Montpellier. Mais bon je pense que par la route ça doit être moins cher. Fada, ils doivent bien mettre 2 jours pour traverser toute l’Espagne et une partie de la France. C'est typique, combien de fois j’ai vu une vieille Pigeot familiale chargée à bloc avec 5 enfants entassés les uns sur les autres sur la banquette arrière, une grosse machine à laver ou un frigo solidement attaché sur la galerie du toit avec une ficelette. Imagine le père qui dit à ses gamins :"ali ali li zenfants, on y va dans le bled pour porter la machine du linge". J'étais mort de rire.
Je me rappelle de mon pépé qui conduisait sa caisse Simca 1000 à fond de cale sur la troisième vitesse, ça faisait un boucan d'enfer ! Il n’était pas loin de mettre 24h pour rejoindre l'Andalousie.