Il navigue le corps douloureux et l'esprit en déroute. Mais l'orgueil demeure, et il s'accroche. Les idées les plus sombres me sont passées par la tête. J'ai eu un court moment la tentation d'abandonner. Ensuite je ne voulais plus, mais j'ai eu peur de ne pouvoir aller bien loin et d'être quand même contraint à l'abandon physiquement, malgré moi
- Eddy Merckx par Jean-Paul Ollivier -
La vie est injuste avec tous ses malheurs, les problèmes de santé, les décès, les déceptions amoureuses, les pierres d’achoppements sont nombreuses. Heureusement, il y a tous ces moments de bonheur qui viennent rafraîchir les mauvais. Hors de moi cette idée d'accepter la maladie, je suis obligé de vivre avec, je suis touché dans ma chair avec mon orgueil d'espagnol. Je refuse obstinément de me laisser abattre. J'aurai tellement aimé faire une carrière en tant que cycliste professionnel mais la maladie m'a contraint à m'y résoudre. Même dans le handisport ça m'aurait plu de faire une carrière et pouvoir participer aux grands marathons internationaux en handbike ou en fauteuil d’athlétisme...
Toute ma vie je garde aux tréfonds de mes tripes une niaque pour essayer de faire comme les autres, certes à mon niveau, sans relâche. Je me sens un peu comme un sportif hors normes sans prétention. Le hors normes il faut bien le saisir de cette manière, la normalité serait que je sois valide. Si je pratique autant de disciplines handisports c'est que je suis hors de la norme. Évidemment en faisant cela les gens sont attirés par le spectaculaire, et je ne compte plus mes apparitions à la télé, mes diverses interviews dans les journaux.
Tiens, aujourd'hui c'est le téléthon, je n'ai même plus envie de le suivre, quel ramassis de foutaise ouais ! Ils nous promettent tous un espoir de guérison, ils font appel aux généreux donateurs français en nous rabâchant de leur douce voix mielleuse : "Faites un don, l'argent ira à la recherche et aux aides techniques pour la famille". Je suis d'accord que les essais thérapeutiques coûtent très chers, qu'il faut payer les chercheurs, les instituts et dans le monde entier. Quant à l'aide technique, fada, je n'ai rien obtenu et ce n'est pas faute d'avoir demandé.
Quelle hypocrisie, ça me scandalise, alors après quand tu dois passer sur un plateau télé, là, d'un coup tu es le maître du monde, puis ils t’oublient vite fait. C'est super, toute la France se mobilise 30 h mais nous on reste handicapés tout le temps, moi perso ça fait 30 ans.
Voici quelques-unes des insultes qu’un jeune homme handi a reçues sur le site YouTube où il avait publié quelques vidéos en s’exprimant avec ses problèmes d’élocutions semblables aux miens : "T’es un mongole toi, ta voix et ta tête vont avec", "Comment exprimer mon mépris envers un attardé sans passer pour l’idiot du village", "On dirait un vieux pervers dégueulasse vu qu’il ne sait pas parler", "Faut te gazer". C’est marrant, évidemment, mais je ne me moque pas, ce n’est pas très sympa. Quand j’ai lu ces insultes j’ai ressenti sûrement la même chose que lui, j’ai moi aussi eu quelques remarques du même style mais je laisse courir, ils s’épuiseront tout seuls...
Ce monde où chaque trottoir trop grand est une muraille, où chaque déplacement est une contrainte, où chaque détail est une victoire. Un monde de patience, persévérance et d’effort
- Une artiste française de one woman show -
La vie est un long chemin chaotique semé d'embuches où n'importe quel handicap est comme un précipice, et il faut arriver au mieux à le contourner sinon c'est la chûte. Quand la maladie frappe à ta porte, même si tu ne veux pas lui ouvrir, elle s'incruste malgré tout. Je garde néanmoins l'espoir utopique, qu'un jour je puisse récupérer un peu de mes facultés, mais franchement plus je prends de l'âge et moins mon espoir est présent. Je me suis même mis à écrire des sommaires textes de slam car je passe aussi beaucoup de temps sur mon ordi. Voici un extrait :
Sur le chemin de ma vie il y a de la souffrance.
Cette saloperie de maladie qui veut me pousser vers la déchéance.
Cet ennemi invisible qui m’inflige tout ça,
Pourquoi moi ? C’est la vie fais ?avec mec.
Les gens me disent que j’ai du courage mais c’est indicible, les mots ne suffisent pas pour décrire tout ça.
Tu es venu dans mon corps sans y être cordialement invité ou plutôt exagérément incrusté.
Et tu crois que je vais fermer mon bec,
Malgré toute cette rage accumulée pendant tant d’années, toi tu m’as choisi pour cible.
Ta flèche elle est tordue alors c’est un échec.
Tordue comme mon dos qui part en cyphose et scoliose,
Alors j’ose attendre la métamorphose de l’homme qui sommeille en moi.
Un mec qui veut bouffer la vie sans faire de pause.
Tout ce que tu fais c’est de me donner de la frustration, ce qui est le plus pénible.
Ok j’ai perdu, mais c’est temporaire car sûrement un jour tu seras vaincu partiellement.
Mais avec ma détermination tu auras presque totalement perdu.
A tout prix je veux prendre ce qui est à prendre et laisser tout ce que j’ai perdu attendre.
Car dans les méandres de ma vie il ne faut pas prétendre tout savoir sans entendre les autres.
Pas de parti pris, j’ai juste cette différence mais à quel prix, celui de vivre,
Et de profiter sans attendre et te surprendre,
Je vais te fendre saloperie !
En réponse, mon père écrira un peu plus tard dans le même genre pour expliquer aux auxiliaires de vie ce qu'est cette maladie :
Il est malade, et il le sait, ce n’est pas ce qu’il voudrait.
Sur un papier de chair, aux couleurs de l’enfer,
Cette maladie écrit ses maux. Comment les décrire ? Par des mots ?
Pas à la hauteur, d’une vie en lambeaux.
Sa vue baisse et il encaisse.
Ce ne sont que ses yeux, ils ont toujours le feu.
Son ouïe lui fait des siennes, dans le brouhaha rien ne s’enchaine.
Difficile d’entendre mais comment se comprendre.
Le son diffère et l’ouïe interfère.
Sur des fausses routes quelques fois dérouté,
La maladie l’avale de son appétit morfal.
Ses nerfs sont à refaire et le traînent par terre.
Comme une machine tactile en défaut, elle n’est plus habile.
Si ses pieds sont glacés c’est pour mieux lui réchauffer.
Son chauffage est ailleurs, un sac de riz et de chaleur,
Et on restaure son coeur.
Il parle une langue que nous ne comprenons pas,
Sommes-nous armés pour cette langue là ?
La dysarthrie de la parole il s’agit, dans l’articulation elle git.
Incoordonné dans ces gestes, de cette lenteur inexperte,
Négociant du temps, le droit de rester alerte,
En retenant, cette vie qui lui reste.
Son coeur est atteint mais il n’est pas éteint.
Ce n’est pas lui le lâche, mais le coeur qui le lâche.
Son coeur n’est pas à gauche, bien qu’il se gausse,
Il est bien plus haut sur un autre niveau.
Non rien d’orgueilleux, c’est là qu’il bat le mieux.
D’une femme au grand coeur, il voudrait du bonheur.
Sa mémoire est intacte, plus rien ne s’efface.
Consigner ses maux par des mots, il le faut.
Sur son vélo fauteuil étrange, les deux roues parallèles, le dérange.
Ses jambes roulent encore, sans pédalier elles callent son corps.
Son esprit garde la trace des évasions qui passent.
La petite reine est là, fidèle, flambant neuve, las,
De ne pouvoir la chevaucher encore, en danseuse, il grimpe sans corps.
Parfois en ascension il s’élève, c’est un rail qui le prélève,
De son vélo fauteuil, c’est tout, et non, ce n’est pas le Ventoux.
Sur le damier de la vie où chaque pièce lui fait envie,
Il dit de tout échec, qu’est-ce qu’il me reste mec ?
Le mat n’est pas pour demain, une partie se perd, je le crains.
C’est un autre monde que le sien,
Bien pire que le vôtre ou le mien.
Là où on ne voudrait aller,
Lui, il y est !
Papa a quand même gravi le Mont Ventoux à plus de 60 ans, quel talent. Il est très doué dans différents domaines, je l'admire.
Je t'aime aussi papa, voilà c’est toi mon premier super-héros.
Quand j’étais jeune marmouset il me racontait souvent cette étonnante histoire qui ne veut rien dire, elle est pleine d’oxymores et de coquecigrues : "Un jour, c'était la nuit. Assis sur une pierre en bois, ronde de forme carrée, je lisais mon journal à l'envers plié en quatre dans ma poche. Soudain un gigantesque petit éléphant rose se mit à gazouiller aux branches d'un pylône télégraphique tandis qu’aux branches des maisons poussaient des petits tracteurs à moteur".
Même si avec mon père on s'engueule souvent, je ne garde aucune rancune envers lui. C'est parce que nous avons chacun une vision particulière, très différente du handicap, et puis nous sommes des vraies têtes de bourricot. Souvent on se chiffonne à propos de mon vieux fauteuil dont je ne veux point me séparer. J'y suis très attaché à mon tit’ (titanium). Ok mon père voulait que je prenne un autre fauteuil avec des poignées plus hautes mais ça ressemble à un tank, fada. Je le prends quand même malgré tout pour une auxiliaire trop grande, je le garde et met ma fierté dans ma poche, ce n'est pas évident.
C'est Giam, un athlète handisport reconverti dans le conseil-revente de fauteuil de sport ou autre matériel médical, septuple champion du monde de tennis fauteuil, qui me l'a conseillé (plutôt à mes parents). Sans aucun doute je préfère mon tit’ car je suis bien mieux calé dedans. La position est bien meilleure. Je pratique encore la muscu, ça ne se voit pas trop mais je tire beaucoup sur mes jambes, c'est pour cela que je porte sans discontinuer un scratch aux pieds et une sangle au niveau des genoux...
Après on pourra me dire que ma position sur mon fauteuil est inconfortable, en particulier pour mon penilex, mais il n'y a aucun problème. Pas la peine de me charger le dos avec toutes ses remarques inutiles. De toute manière un médecin, ergothérapeute, kinésithérapeute ou auxiliaire de vie ne sera en aucun cas en fauteuil depuis plus de 20 ans. Évidemment je ne le souhaite à personne, mais crois-moi que c'est la misère d'être cloué sur un fauteuil alors que je n'ai pas mérité ça.
Au sujet de mon positionnement des jambes, je ne suis pas ligoté sur mon fauteuil, je suis juste maintenu par ma sangle clic clac. Je connais nombre de joueurs de basket fauteuil qui utilisent la même sangle au niveau abdominal. C'est leur fauteuil de compète, mais pour le quotidien ils ont un autre fauteuil.
Mon combat je le fais chaque jour, chaque heure, chaque minute. Quand il y a une fuite sur mon penilex c'est la personne qui me l’a posé qui a commis une misérable erreur. Ça arrive quelque fois, l'erreur est humaine. C'est trop facile de m'accuser à tort et à travers, il faut arrêter, fada de me faire tant subir de frustrations. Désolé, quand une auxiliaire essaye de me faire la morale sur la position des jambes ou sur des rougeurs qui apparaissent au niveau de l’entrejambe, c'est que tout simplement l'auxiliaire m'a nettoyé le pipi avec un sopalin. Après on vient s'étonner quand je m'énerve !!
C'est vrai que dans mon comportement je suis souvent têtu et carré. Je demande juste aux personnes qui me connaissent le mieux, famille, auxiliaires, qu'elles me comprennent. J'ai perdu énormément de facultés physiques et quand je demande de l'aide, je peux t'assurer que ça me torture, ça me fait très mal dans ma dignité. Je sais bien que parfois je demande des détails sans importance (les pattes très fines au rasage ou me préparer dans tel ordre le matin...). Figure-toi que ce n’est pas grand chose mais ça me fait un bien fou, ça me prouve que je vaux encore quelque chose malgré mon handicap qui devient de plus en plus contraignant. Par rapport à tout ce que j'ai vécu en tant que sportif ou simplement pour avoir eu mon autonomie, je ne suis pas un quelconque handicapé. Je reste un sportif malade, blessé, touché au plus profond de mes tripes.
Ma famille est très importante. Je sens que depuis quelques années ils sont un peu plus distants par rapport à moi alors qu’au contraire j'aimerai avoir beaucoup plus de présence et de soutien. Imagine-toi, les seules femmes que je vois ce sont mes auxiliaires, et j'évite beaucoup de lier des contacts amicaux avec elles puisqu'elles sont là en priorité pour m'aider. Après on peut très bien avoir des liens très forts, d'ailleurs j'ai gardé le numéro de quelques unes que j'ai bien appréciées et on s'envoie des sms.
Frustration encore présente, je n'arrive plus à lire mes sms, ce qui m'oblige légèrement à me dévoiler sur ma vie privée. C'est pour cela que parfois je ne fais pas écrire les noms complets mais juste des initiales ou des noms de leurs gâteaux préférés. Je n'ai pas vraiment d'amis très proches mais je connais beaucoup de monde. Je mets des noms comme AZ ou LL ou Fondant.
Je préserve le plus possible mon intimité, j'essaie aussi de faire la même chose pour mes emails, mais par contre sur mon ordi j'arrive à zoomer sur les caractères, ce qui me permet de lire sans trop de difficultés les textes. Il m'arrive même de rester plusieurs heures d'affilées devant l'écran pour habituer mon oeil à travailler sur des points précis. Une douleur lancinante vient me caresser les tempes et mon crâne, jusqu'à en avoir les yeux injectés de sang.
Souvent quand mes auxiliaires arrivent vers 17 h, elles me demandent si j'ai passé mon après-midi à pleurer ou bien si je suis fatigué et moi je leur réponds "non, non c'est rien".
Ma mère me dit souvent "Assépta ta maladie y tou vivra mio". Impossible pour moi, je suis très dur avec moi-même. La souffrance physique n'est rien, elle peut se dominer, se surmonter avec une volonté, l’envie de vivre. Heureusement que mon handicap ne me fait pas trop souffrir, je n'ai pas ou très peu de douleur physique, c’est juste une information que la tête analyse. A toi de la supporter ou pas. Normal, comme tout le monde j'ai des courbatures musculaires après une séance de sport ou quand j’ai un état grippal.
Souvent je sollicite l'aide de mon frère ou de mes parents quand il y a un appareil défectueux car je suis dépendant de tout ça. Si on m'enlève tous ses dispositifs, mon ordi, mes films, ma musique... je ressens de suite un état de mal être. Normal je suis restreint pour faire mes activités, avec mes difficultés de vision je ne peux suivre qu’à bâtons rompus les films.
Parfois je me demande pourquoi ce malheur est tombé sur moi, alors que je n'ai rien fait à personne. Moi je dis qu'il faut avoir une sacrée paire de c******* pour ne pas flancher. Plus de femmes, moins de sport, pas ou très peu d'amis, limité dans mes sorties et à chaque fois accompagné d'une auxiliaire, je te promets ça me taraude l'esprit au plus haut point. A 38 ans je pourrais avoir une vie mieux que celle-ci, une femme, des enfants, un boulot...
Les femmes aujourd'hui, je n'arrive pratiquement plus à les observer distinctement mis à part si je les vois de près. J'ai l'impression alors d'être un vilain pestiféré que l’on n’approche pas sous peine d'être contaminé. Je n'ai plus d'autres choix que d'utiliser ma main droite et de mater les jolies femmes qui font des films coquins.
Le sport, j'en ai bouffé des kilomètres en toute insouciance de ce qui allait être mon fardeau. J'étais alors un gros battant. Peut-être qu'un jour ça reviendra mais j'ai peu d'espoir. J'attends un déclic pour briser les chaînes qui me retiennent prisonnier de cette ignominie. Je ne craque pas, cela s’entend que ça m'arrive de temps à autre de perdre courage, mais ça ne dure que quelques heures, de toute façon mon pépé veille sur moi.
Je ne sais pas si dans quelques années je serai encore présent et souriant devant les personnes que j'aime. Ce n'est pas pour faire peur à tout le monde, mais je te confesse que j'ai eu l'idée d'écrire mon témoignage pour laisser à mes proches le souvenir d'un mec battant et ce pour toute la vie.
Je remercie toutes mes auxiliaires qui m'ont aidé à écrire le brouillon et à le mettre au propre sur l'ordinateur. Tous les gens qui ont croisé ma route.
En guise d'épilogue je me suis exprimé dans mon dernier chapitre Accroche-toi ! car mon histoire est loin d'être finie et je pense à faire une suite dans quelques années.
Je garde au fond de mon coeur tous ces moments sportifs et peut-être cette idée utopique qu'un jour ça pourrait revenir.
De toute manière la roue tourne et ma vie aussi...
- Mike GOMEZ -
On croirait que cet ouvrage est le fruit de l’imagination d’un sauvage ivre
- Voltaire -